CHAPITRE XI

« Bon, Raoul, il faut arrêter les cachotteries entre nous. Je sais que tu ne nous à pas tout dit, tu as un plan et je veux savoir lequel ! Tu me dois bien ça, non ? »

Raoul savait que ce moment finirait par arriver mais il était désormais prêt à lâcher le morceau, d’autant que Jacques-marie lui avait donné des informations de première bourre quelques temps plus tôt, informations qui lui avaient permis de prendre les contacts nécessaires. Désormais, tout était réglé sur le papier et il allait pouvoir passer à la phase active du plan. Il restait quand même à convaincre les autres membres de la conspiration, hormis Jacques-marie qui lui avait confié être à fond derrière lui. Martha s’impatientait pendant qu’il réfléchissait et lâcha :

– Raoul, tu m’écoutes ? Qu’est-ce que tu as derrière le crâne ?

– Oui, je t’écoute…. Bon, en un mot comme en cent, le fond de ma pensée est qu’il va falloir frapper un grand coup. L’époque des  petites manœuvres à la noix qui n’apportent rien est révolue, et ce n’est pas avec des demi mesures que nous allons sauver le radioamateurisme national ! A ton avis, quelle est la priorité des priorités ?

– Pour sauver le radioamateurisme ? Virer Irène, bien sûr, et mettre à la place quelqu’un de sérieux et d’honnête pour redresser la barre ! Sur ce point, pense que nous savons tout les deux qui devra se mettre à l’ouvrage une fois la Tsarine partie…

– Tout à fait, fît Raoul en souriant intérieurement, le nom qu’il avait en tête n’étant pas du tout celui auquel Martha pensait. Nous sommes bien d’accord, reprit-il, il faut qu’Irène dégage, et je sais de source sûre qu’elle en a assez de cette présidence, et qu’elle démissionnera à la première occasion, ça m’a été confirmé par des proches à elle. Alors, c’est tout simple, nous allons la lui donner, cette occasion et je te garantis qu’elle sautera sur l’occasion ! Ensuite, tu te présenteras comme le seul recours lors de l’AG et la présidence ne pourra pas t’échapper.

– Ha…. La présidence ne t’intéresse donc pas ?

– Non, enfin, pas celle là. En fait, tu auras juste à faire le nécessaire pour me nommer en Sambre Atlantique à la place de l’autre con. Juste ça et nous serons quitte. C’est un bon deal, non ?

Martha trouvait que ce scénario était tout à fait idéal mais presque trop beau pour être vrai :

– Oui, ça ne posera aucun problème pour faire dégager l’autre vieux birbe et te mettre à la place… Mais bon, comment tu vas la faire démissionner ? Depuis le temps que j’essaye et sans aucun résultat…

– C’est la partie disons… délicate de l’affaire. En fait, j’ai appris qu’elle va bientôt venir en Haute Sambre pour l’AG organisée par le vieux birbe, comme tu l’appelles. Alors, j’ai mis au point un plan pour la récupérer en douceur, l’amener dans un lieu discret et lui faire signer une lettre de démission. Et comme un de mes contacts m’a passé un courrier signé de sa blanche main pour des achats à la limite de l’abus de biens sociaux, il suffira de lui agiter ce papier sous le nez pour la convaincre de signer  et oublier les modalités peu courtoises de cette rencontre… Ensuite, elle pourra aller au diable et toi amorcer une nouvelle carrière associative…

A l’énoncé du plan, Martha avait blèmi tout en laissant retomber un donuts à la framboise dans sa boîte :

– Quoi ! Tu plaisantes ! C’est d’un enlèvement dont tu es en train de parler ou bien j’ai rêvé !

– Allons, tout de suite les grands mots ! J’ai tout réglé dans les moindres détails, te dis-je, exactement comme une opération militaire et je te rappelle que je suis colonel en retraite, je sais de quoi je parle… Ça ne peut pas rater, d’autant qu’elle veut démissionner, elle à juste besoin d’un prétexte honorable et c’est ce qu’on va lui fournir. Si ça se trouve, elle nous remerciera de la tirer de ce merdier…

Martha avait légèrement verdi cette fois et elle objecta :

– Je n’en suis pas si sûre, je la connais un peu figure toi… Mais bon, admettons, je dis bien : admettons, qu’on mette ton plan à exécution, comment tu vas faire ? Parce qu’on n’enlève pas les gens d’un claquement de doigt ! Sans compter que ce n’est pas très légal, cette histoire… Pas du tout même, et je te rappelle que c’est la présidence que je vise, pas une place en taule !

– Pas de panique, Martha, j’y ai pensé figure-toi ! Personne n’ira en taule et si, par extraordinaire, ça devait mal tourner, ce qui est hautement improbable, je te le répète, j’ai tout organisé de façon qu’on puisse dire qu’on a juste voulu la rencontrer en privé et que, comme elle n’était pas tout à fait d’accord, on lui a juste un peu forcé la main. Tu vois la manœuvre ? Style une invitation cordiale qui dérape un peu mais sans préméditation… Un enlèvement chez des radioamateurs, y’a pas un juge qui irait croire un truc pareil !

– Oui, bien sûr, dit comme ça… Mais ça me fait drôle, quand même, on est quand même plus proches du grand banditisme que de la fête de patronnage. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour sauver le radioamateurisme !

Raoul sentait que Martha commençait à se faire à cette idée et décida de lui remouiller la compresse :

– C’est vrai qu’il faut se sortir les doigts…. Enfin, nous arrivons au bout de nos efforts, tout est organisé dans les moindres détails et j’ai même obtenu le concours de la section locale de la LAPS – avec la bénédiction de leur président, ça va sans dire – et, cerise sur le gâteau, j’ai trouvé un tireur d’élite !

Martha faillit tomber de son fauteil tandis qu’une fine pellicule de transpiration perlait à son front. Sa voix monta d’un octave :

– Un tireur d’élite !!! Mais qu’est-ce que tu racontes, tu ne vas quand même pas la tuer !

Raoul se dépêcha de la rassurer avant qu’elle ne lui raccroche au nez :

– Bien sûr que non… mais tu comprends bien qu’il va falloir immobiliser son véhicule ! C’est la condition sine qua non pour qu’on puisse lui faire signer sa démission. Voilà comment ça va se passer : Super Dupont l’attendra à la gare avec une voiture de location et se fera passer pour un chauffeur mis à sa disposition pour l’amener à l’AG. Ensuite, ils passeront par une route que j’ai repérée et où sera posté le tireur. A ce propos, j’ai eu du pot de le trouver, ce gars là, un vrai coup de bol… C’est un cibistos qui déteste les radioamateurs, je te raconterai pourquoi une autre fois, et je te garantis que je n’ai eu aucun mal à le convaincre… Je l’avais repéré sur Hamonline et c’est un peu son profil qui m’a donné l’idée de cette opération. Pendant que j’y pense, il faudra t’arranger lorsque tu seras présidente, pour lui avoir un indicatif, à lui et à un de ses copains, un certain Gégé qui l’assiste dans la mission. Ça devrait pouvoir se régler sans trop de mal avec De Saint-Cévé j’imagine ?

Martha fît, avec un léger tremblement dans la voix :

– Sans doute, mais bon, il va faire quoi ce tireur d’élite ?

– Attends, je continue. Martial, c’est le nom du tireur, aura juste à crever un pneu de la bagnole pour l’immobiliser. Super Dupont aura pour sa part consigne de rouler lentement, et comme l’autre est tireur d’élite, il fera ça les doigts dans le nez.

– Et alors ? fît Martha d’une voix mourante.

– Et bien, Super Dupont arrêtera la voiture sur le bas côté et fera mine de ne pas arriver à démonter la roue. Et là, devine ce qui va se passer ?

– Heu, je ne sais pas… Martha n’avait plus la force de réfléchir à quoi que ce soit.

– Et bien, une bagnole du LAPS va passer par là comme par miracle ! Bien sûr, ils vont s’arrêter, reconnaître Irène et proposer de l’emmener à l’AG. Elle s’empressera bien entendu de saisir cette opportunité et hop ! Avant qu’elle n’ait compris ce qui lui arrive, elle se retrouvera dans un local que j’ai loué la semaine dernière. Local où je l’attendrai avec la lettre compromettante dans une main et celle de sa démission – en plusieurs exemplaires – dans l’autre. Quelques signatures et adieu Berthe !

– Et ben… On voit que tu es un ancien colonel à la retraite ! Mais tu es sûre de ce tireur d’élite ? Ce Martial ?

– Comme de moi-même ! C’est un ancien du 3éme escadron des Forces Coloniales Semi Aéroportées que j’ai rencontré plusieurs fois, un type sérieux, un vrai dur. Et il a un super fusil à lunette… Avec silencieux. Du matériel de pro, crois-moi sur parole !

Martha avait maintenant l’impression d’être dans un épais brouillard, ses oreilles sifflaient et son cœur battait sur un rythme  bizarre. Elle déglutit avant de demander :

– Mais pourquoi les gars de la LAPS collaborent ? Ce n’est pas tellement leur genre…

– C’est assez compliqué, fît Raoul, mais bon, j’ai longuement échangé avec leur président et, pour résumer, ils rêvent d’être intégrés officiellement dans l’ANAR avec un poste de vice président… Comme Irène ne veut pas en entendre parler car elle trouve qu’ils sont nuls, ils lui en veulent beaucoup et sont prêts à donner un coup de main. Bien sûr, ils ne sont pas au courant du détail de l’opération , il vaut mieux limiter le nombre de gens « qui savent »…

– Oui oui, on est déjà bien trop à être au courant, je trouve. Moins ils en sauront et moins ils pourront me faire chanter ensuite. Enfin, si ce n’est que ça qu’ils demandent, ça doit pouvoir s’arranger… Et moi là dedans, je fais quoi ?

Raoul sortit l’argument qu’il réservait pour la fin histoire d’emporter la décision :

– Rien de rien, tu t’es assez exposée comme ça… Pendant que nous nous occuperons de la partie « action » du plan, tu pourras même commencer à préparer ton programme de future présidente et le discours qui va avec. Tu vois, de la sorte, tu ne risques rien. Est-ce que j’ai ton accord ?

Martha sentait le brouillard s’épaissir autour d’elle mais réussit à articuler :

– Hé bien… Il faudrait qu’on en parle avec les autres, non ? Un truc pareil, il vaudrait mieux que nous soyons tous d’accord…

– Oui, je sais, je veux juste pouvoir compter sur ton soutien lorsque le Cercle se réunira ce week end sur SPIPE… Alors, je peux compter sur toi ?

C’est d’un « oui » d’agonisant dont elle le gratifia mais c’est juste de ce dont il avait besoin.

Ils raccrochèrent peu après et Martha s’effondra dans son fauteuil, elle avait l’impression de patauger dans un cauchemar récurent où même les donuts ne représentaient plus aucun intérêt. Le fait qu’elle n’intervienne pas directement la rassurait quand même un peu, et la perspective de cette présidence promise lui permettait de tenir le coup. Quand même, enlever Irène…

Raoul, de son côté, passa deux coups de téléphones, l’un à Super Dupont pour lui dire que Martha était OK, et lui confirmer son rôle dans l’opération, rôle sur lequel il s’était enthousiasmé la semaine précédente en disant « Enfin de l’action ! ».

Le second coup de fil fût pour Monsieur X qui décrocha au bout de deux sonneries :

– Oui ?

-C’est Raoul…

– Alors ?

– Le plan se déroule conformément à vos prévisions. On passe à l’action lors de la prochaine AG de Sambre Atlantique…

– C’est très bien, Raoul, je n’ai d’ailleurs jamais douté de votre efficacité… Et je saurai bientôt m’en souvenir.

– Merci. Merci bien…

Raoul raccrocha après Monsieur X, légèrement mal à l’aise car ce type l’impressionnait beaucoup.

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