17. VACANCES ANDALOUSES

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Emi se réveilla en sursaut. Elle venait de faire un rêve dans lequel elle voyait Denis au milieu d’une foule. Il avait une carte d’embarquement en main, et elle voulait lui arracher. Plusieurs minutes furent nécessaires pour qu’elle retrouve ses esprits. Elle se rendormit avec beaucoup de peine. Elle appela Denis le lendemain à la première heure.

En entendant sa voix, elle se rassura. C’est ainsi qu’elle apprit que Denis et Marie devaient se rendre en Espagne le lendemain, pour deux semaine de vacances. Il lui dit qu’ils avaient prévu en premier lieu un séjour en Andalousie avant de revenir sur Madrid, pour rejoindre la France.

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L’avion se posa dans la capitale andalouse en début d’après-midi. En ce dernier jour de février, les conditions avaient été agréables et le vol put s’effectuer sans incident. Marie et Denis se tenaient devant le tapis roulant et attendaient leurs bagages. Un couple passa près d’eux, sans les voir, et il reconnut Robert et Azucena. Leur présence étonna Denis, et il appela Pierre pour l’informer de la situation.

-Tu n’as pas vu la personne que nous recherchons ? Il lui répondit qu’ils étaient seuls et qu’il n’avait vu personne les attendre à la sortie du hall d’arrivée quand il les avait vu quitter les lieux en taxi. Pierre appela ensuite ses homologues espagnols pour les informer de ce nouvel élément. On ne sait jamais, pensa-t-il, l’information pourrait leur être utile.

Denis avait réservé une chambre confortable dans un hôtel au bord du Guadalquivir, le fleuve qui traverse Séville.

-Cela me paraît curieux, ce nom, pour ce fleuve, dit Marie, en le découvrant depuis la terrasse de leur chambre. C’est de l’Espagnol ?

-Non, répondit Denis. C’est la dénomination espagnole qui est utilisée aujourd’hui. L’origine du nom est arabe, et il s’appelait Wad el Kevir, du temps où les califats régnaient sur la région. Cela ne signifie rien d’autre que le grand fleuve, dans cette langue. Et en ce qui concerne Séville, il est dit ici que c’est une fenêtre ouverte sur l’âme des hommes.

En sortant de table, ils prirent place dans la salle de spectacle de l’hôtel pour assister à un show de flamenco. Denis expliqua à Marie que le flamenco traditionnel comporte toujours quatre périodes, symbolisant l’enfance, l’adolescence, la vie adulte et la vieillesse, et que ses trois composantes indissociables sont le chant, la danse et la guitare.

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Le temps se prêtait à merveille à la promenade, le lendemain, et ils entamèrent un circuit pédestre,

que Denis avait préparé avant leur départ, en se tenant par la main. Ils empruntèrent un dédale de ruelles et le plan qu’il avait imprimé se montra de la plus grande utilité. La première étape était une ancienne mosquée, devenue cathédrale, la cathédrale de la Giralda, classée au patrimoine mondial.

Un grand jardin d’orangers entourait cet imposant bâtiment, surmonté d’une tour carrée et ils durent patienter pour la visiter en raison d’une nombreuse affluence de touristes. Cette merveille d’architecture inspira Marie qui n’avait pas oublié ses fusains.

-Ce qui est merveilleux avec toi, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’emporter un appareil photo lorsque nous sommes en voyage, lui dit Denis en l’embrassant. Ton talent suffit à rendre l’émotion que je ressens en découvrant toutes ces merveilles. Après lui avoir rendu son baiser, Marie lui dit qu’elle dessinait avec son cœur et qu’il en était l’inspirateur. Ils repartirent deux heures plus tard, empruntant de nouvelles ruelles, découvrant de jolis petits jardins, et arrivèrent devant un petit bar à tapas au coin d’une venelle. Ils prirent place sur la terrasse et après s’être restaurés, Marie demanda à Denis quelle était la suite du programme.

-La prochaine étape sera l’Alcazar. C’est un magnifique palais ancien avec de remarquables azulejos. Ensuite nous flânerons encore un peu avant de revenir à l’hôtel. Après le repas, nous irons faire un tour en barque sur le Guadalquivir. L’idée de cette promenade romantique enchanta Marie.

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Devant l’Alcazar, un panneau affichait les horaires de visite. Il leur restait une demi-heure pendant lequel Marie s’empressa de faire quelques croquis, avant de rejoindre le groupe qui attendait devant l’entrée. Un guide les prit en charge, et ils traversèrent d’admirables salles reflétant l’art et l’histoire de la région. Denis remarqua que le guide observait souvent Marie, et se tint sur ses gardes, en se plaçant entre Marie et cette personne.

A l’issue de la visite, elle demanda à Denis d’attendre avant de sortir, et le guide se rapprocha d’eux pour leur indiquer la sortie.

-Avant de partir, dit-elle, je voudrais visiter les bains. Leur guide répondit que cela n’était pas possible, la salle étant en réfection. Il vit ses croquis, et leur demanda de patienter, puis il revint avec une clef.

-Suivez-moi, leur dit-il.

Ils découvrirent une immense salle avec un long bassin rectangulaire en son centre, surmonté de nombreuses arches voûtées. Le guide continuait de l’observer, mais cela ne la dérangeait aucunement, et elle s’empressa de faire quelques dessins. Elle prit ensuite Denis par la main et l’amena au bord du bassin, où elle trempa la main de Denis dans l’eau.

-Tu es maintenant sous ma protection, mon amour, dit-elle à Denis, de ce ton étrange qui semblait émaner d’une autre personne. Le guide, qui comprenait le français, resta figé de stupéfaction et lui demanda qui elle était.

-Je suis Marie. Une fois encore, le guide fut saisi de stupeur. Une explication s’imposait et il leur apprit que ce bassin avait été construit pour Marie de Padilla, la favorite d’un roi et que ceux qui s’y baignaient bénéficiaient de sa protection.

-Mais ce n’est pas le plus étonnant. J’aimerais vous montrer un tableau dans nos réserves. Quelques minutes plus tard, Denis tenait l’explication de l’intérêt du guide pour sa femme, en voyant l’œuvre. La ressemblance entre la personne représentée et Marie était incroyable. Ce fut au tour de Denis de rester sans voix.

-Voici Marie de Padilla, dit le guide.

En repartant ils lui glissèrent quelques billets dans la main en guise de remerciement pour le privilège qui leur avait été accordé, et Marie expliqua à Denis qu’elle s’était renseignée au sujet de la légende.

-Celle-ci est mienne, et je voulais la partager avec toi comme tu as partagé avec moi celle du doigt de Dieu.

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Marie fit encore d’autres croquis, en poursuivant leur promenade. C’est au détour d’une ruelle qu’ils la rencontrèrent, comme si elle les attendait depuis toujours. C’était une vieille gitane, et elle les salua respectueusement en disant qu’elle était heureuse de les revoir. Le visage de Marie avait pâli et elle se rappela soudain cette rencontre.

Elle avait rêvé d’avoir rencontré cette voyante étant enfant. Ils s’approchèrent, et la vieille fit un signe de croix. Elle prit leurs mains gauches, et les examina longuement avant de parler. Elle s’adressa d’abord à Denis.

-Tu as voyagé et tu voyageras encore. Je vois des îles. L’une d’elles t’attend. Beaucoup de chats y vivent. Prends garde au serpent. Ta fille s’appelle Marie.

Elle se tourna ensuite vers Marie.

-Je vois une grande ville, tous veulent y aller et tu es avec eux. Mais tu n’y arriveras pas, tu es avec les autres. Tu aimes un homme et tu es dans son esprit. Vous vous connaissez depuis toujours et tu veilleras sur lui.

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Le soleil s’était couché et les premières étoiles commençaient à briller dans le ciel. Ils s’acheminaient tranquillement vers l’embarcadère, situé à quelques centaines de mètres de l’hôtel, en reparlant de leur rencontre de l’après-midi.

-Tu m’as caché que tu avais une fille qui s’appelle comme moi, dit Marie, amusée.

-Je l’ignorais, mon amour, mais peut-être a-t-elle voulu parler de toi. C’est parfois difficile de comprendre, par exemple, j’ignorais qu’il existait une île aux chats, et je ne savais pas non plus que nous nous connaissions depuis toujours. Et que dire du fait que tu es dans mon esprit … tu sais bien que tu es dans mon cœur.

-Et ces autres avec qui je suis … c’est avec toi que je suis. Mais elle avait raison sur deux points.

Elle m’a dit que j’aime un homme et elle t’a dit que tu as voyagé. Mais ce qui m’a le plus étonné, c’est qu’elle ait refusé d’être payée. J’ai toujours cru que les diseuses de bonne aventure le faisaient pour de l’argent.

Entre temps, ils étaient arrivés à l’embarcadère et prirent pied dans une barque. Le loueur leur avait dit qu’ils avaient le droit de l’utiliser une heure, et de ne pas trop s’éloigner des berges en raison du courant. Denis prit les rames pour remonter le fleuve. Il s’efforçait de s’astreindre à une cadence régulière parmi les tourbillons qui, çà et là, apportaient des turbulences. Marie admirait le ciel qui était magnifique, de nombreuses étoiles étaient maintenant visibles, malgré la pleine lune qui s’était levée.

Ils distinguèrent les reflets d’un feu, et en se rapprochant, ils entendirent une mélopée, accompagnée d’une musique de guitare.

-Des gitans, dit Denis. L’Andalousie authentique, selon Lorca. Leurs esprits, une fois encore, étaient en parfaite harmonie, Marie sut lui rappeler l’importance de ce peuple, pour ce poète qu’elle aimait de plus en plus, au fur et à mesure de ses lectures. Il cessa de ramer, pour laisser la barque se faire porter par le courant, sans qu’il n’ait à faire d’efforts pour regagner leur point de départ.

Marie s’était rapprochée de lui. Ils étaient heureux, simplement heureux, de leur présence mutuelle. Elle dit à Denis qu’elle vivait des instants merveilleux en sa compagnie.

-Je t’aime tellement. Notre amour est si beau dit-elle en regardant le ciel. Ce soir, il s’étend de ce fleuve jusqu’au bout des étoiles. Denis apprécia la tournure qui lui rappelait l’un des poèmes du Romancéro Gitan, la complainte funèbre d’Ignacio Sánchez Mejías, dont le cœur de Marie avait dicté ce mot d’amour.

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Ces deux belles journées s’étaient écoulées rapidement et il en restait neuf autres avant la fin de leur congé. Ils quittèrent l’hôtel le lendemain pour se rendre à la gare de Séville. Denis avait réservé un circuit touristique de six jours à bord de l’Andalus-Express, un train de luxe à l’image de l’Orient Express dont le décor d’origine avait été conservé, mais équipé des fonctionnalités les plus récentes.

Les yeux de Marie brillaient lorsqu’à chaque étape elle découvrait une nouvelle ville andalouse, tout en réalisant de nombreux croquis. Son exceptionnelle mémoire des couleurs lui permettait généralement de peindre des tableaux en se basant sur ses croquis, qu’elle rangeait ensuite chronologiquement dans un classeur.

Ils visitèrent les plus importantes métropoles de la région lors de ce voyage romantique, se promenant au gré des arrêts imposés par l’organisateur, visitant çà et là des édifices historiques plus intéressants les uns que les autres, ou découvrant des plats typiques qu’ils ne connaissaient pas et que n’aurait pas renié un grand chef. La plus marquante de ces excursions fut sans conteste la visite sur les hauteurs de l’Alhambra, à Grenade, où ils prirent conscience de l’influence de l’architecture islamique et l’ingéniosité que les constructeurs avaient su montrer pour l’édification de ces magnifiques palais, en admirant plus tard le coucher de soleil dont les rayons coloraient de rouge et d’ocre l’ancienne forteresse.

Marie fut également impressionnée lors de l’étape à Cordoue, où ils visitèrent la grande Mosquée-cathédrale. Elle n’avait jamais imaginé qu’il puisse exister une telle construction, avec sa cathédrale construite à l’intérieur d’une mosquée. Denis lui expliqua que c’était Charles Quint qui avait autorisé cette modification, et qu’il le regretta ultérieurement, en constatant ce que ses architectes avaient réalisés.

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Ils disposaient, comme tous les autres voyageurs, d’un compartiment particulier, équipé d’une salle de bains, qui faisait office de chambre la nuit et de salon particulier durant la journée. Les prestations prévoyaient également les dîners à bord au cours de ce périple et un wagon salon destiné à l’usage commun, faisant office de piano bar, permettait aux passagers qui le souhaitaient de s’y retrouver après les repas pour terminer leur soirée tout en écoutant de la musique.

Ils apprécièrent de se retrouver dans cette ambiance feutrée, propice aux échanges de confidences, favorisée par une lumière tamisée permettant d’apprécier encore plus le luxueux décor que la lumière du jour. Ils reparlaient de cette dernière année, si vite écoulée et de tous les évènements qui s’étaient enchaînés.

-Tout a passé si vite, j’ai un peu de mal à croire que ce qui nous est arrivé est réel, dit-elle. Il lui répondit qu’il ressentait parfois la même chose, et que ce qui les unissait était si fort qu’il n’était pas permis d’envisager le futur autrement qu’avec sérénité.

Ils se turent, saisis par l’émotion qu’avait provoqué le pianiste en commençant à jouer un extrait des variations de Bach, toute la magie de leur première soirée leur revint en mémoire et il put observer une fois encore le visage de son épouse vibrer au gré de la musique.

-Je ne savais pas que tu m’aimais déjà …

-Nous nous aimons depuis si longtemps. Et nous nous connaissons depuis toujours, la vieille femme nous l’a dit à Séville. Il avait l’impression que cette rencontre avait troublée Marie, et lui demanda pourquoi elle parlait de la voyante. Elle lui confia qu’elle avait lu récemment un livre disant que les rêves s’expliquaient par le vécu des jours précédents, qu’elle avait vu cette femme en rêve étant enfant, et complètement oublié ce rêve jusqu’au moment où elle avait revu la femme.

La main de Marie s’était crispée sur la sienne. Il ressentait son désarroi  et la regarda avec amour pour la rassurer, en lui expliquant que depuis leur arrivée, ils baignaient dans une ambiance mystique, propre à la région.

-N’y attache pas trop d’importance, chérie, et rappelle-toi notre arrivée à Séville … la fenêtre ouverte sur l’âme.

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Marie avait ressenti des vertiges, quelques mois plus tôt et pensait que c’était dû à la fatigue provoquée par leur nouvelle vie, puis elle se résolut à consulter un médecin qui avait décidé de procéder à des analyses. En retournant le voir pour les résultats, le  spécialiste se montra quelque peu soucieux, tout en la rassurant. Il avait détecté une anomalie touchant son centre de la vision. Une anomalie très légère, lui avait-il dit, qui se traduirait dans quelques années par une diminution de la perception des couleurs.

Elle ne voulut pas en parler à Denis. Pas encore, se disait-elle. Je lui en parlerai quand je commencerai à en ressentir les effets. Cela l’inquiéta un peu, puis elle finit par ne plus y penser. Elle avait un autre projet, avoir un enfant pour l’année suivante. C’était de cela dont elle voulait parler avec son mari. Il lui avait répondu à Noël que lui aussi rêvait d’avoir un enfant.

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La première semaine de mars se terminait. Ils étaient de retour à Séville. En sortant de la gare, Marie, qui avait épuisé tout son stock de papier à dessin, se rendit dans un magasin spécialisé pour se réapprovisionner. Elle demanda ensuite à Denis, qui avait tout organisé, mais sans lui donner de détails, comment devait se poursuivre leur séjour.

-Nous allons passer la nuit ici, et demain, nous prenons le train pour Aranjuez, où nous resterons deux jours, pour revenir sur Madrid le jour suivant de bonne heure. Marie était attristée à l’idée de quitter l’Andalousie, où elle avait vécu des moments uniques en compagnie de Denis. Il pleuvait ce jour-là, et elle trouva les mots justes, en citant Verlaine, pour exprimer ce qu’elle ressentait.

Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ?

Pour leur dernière nuit sévillane, il avait loué une chambre dans un hôtel situé près de la gare. La pluie n’avait pas cessé et le temps humide n’était guère propice à une ultime promenade nocturne. Ils dinèrent sans trop se presser, et en rejoignant leur chambre, au premier étage, ils traversèrent le hall de l’hôtel, où un présentoir offrait aux clients des prospectus touristiques. Marie s’approcha, et emporta celui décrivant Aranjuez et sa région.

Elle le lut longuement, un peu plus tard, pour bien s’imprégner de cet autre endroit qu’elle devait découvrir le lendemain, en disant à Denis qu’elle n’avait pas soupçonné qu’il y eut une telle richesse architecturale dans ce Pays. Elle s’endormit paisiblement, serrée dans les bras de Denis, en pensant à ce magnifique jardin et ses fontaines, dont elle avait vu l’image. Dans le rêve qu’elle fit, elle était avec Judith. Toutes deux visitaient une église, et sa sœur lui promettait de penser à elle.

Le ciel était redevenu bleu, lorsqu’ils prirent place à bord du train le jour suivant. Ils laissaient derrière eux Séville et son ambiance si particulière, leurs cœurs enrichis une fois encore.

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Marie dessinait la fontaine de Cérès, avec en son centre la statue qui figurait la déesse antique de la fécondité et des moissons, dans les jardins attenants au palais royal d’Aranjuez. Un train touristique, visible sur un autre quai lorsqu’ils étaient descendus de leur wagon, deux heures auparavant, avant de se rendre à l’hôtel pour y déposer leurs bagages, avait attiré l’attention de Denis, curieux comme à son habitude de nouvelles choses. Il avait demandé au guide touristique accompagnant des groupes de touristes quel était ce train et s’entendit répondre qu’il s’agissait du train de la fraise, en hommage à l’une des deux productions agricoles de la ville, et qu’il circulait sur la plus ancienne ligne de chemin de fer d’Espagne.

Après avoir visité le palais, ils repartirent à pied en direction du centre-ville, où leur hôtel se situait, pour profiter de cette fin de journée lumineuse qui rehaussait d’éclats les plus petites ruelles. Denis ne vit pas le regard de Marie rayonner de bonheur lorsqu’elle ralentit légèrement en passant devant un magasin pour enfants. Son instinct maternel s’était éveillé depuis quelques semaines.

Leur chambre, située au dernier étage et disposant d’une large terrasse, permit à Marie de réaliser quelques autres dessins, représentant les alentours du palais royal visible au loin. Elle dit à son bien aimé qu’elle voulait y retourner le lendemain, pour réaliser un portrait, ce qui étonna Denis.

-Qui veux-tu dessiner ?

-Mais toi, mon amour, à côté de la fontaine. Il ne l’avait jamais vue aussi épanouie.

Ils avaient emporté un panier-repas, et Marie avait demandé à Denis de prendre la pose, dès leur arrivée au jardin. Il s’exécuta de bonne grâce et s’efforça de rester immobile, tandis que Marie commençait à dessiner. Quelques touristes, parmi ceux passant près d’eux pour se rendre sur le parvis du palais, l’observaient de temps à autre.

-Zut, dit-elle. Je viens de casser le fusain. Denis s’approcha pour constater les dégâts. Un gros trait noir était visible sur le côté de sa lèvre inférieure.

-Tu corrigeras cela lorsque nous serons rentrés, lui dit-il.  Ce n’est pas bien grave. Elle décida d’en rester là et referma son bloc à croquis. Elle le prit par la main et l’emmena se promener en disant qu’elle voulait voir toutes les allées du jardin. Ils s’assirent sous une petite gloriette pour se restaurer avant de reprendre leur promenade.

Un vent un peu frais venait de se lever et les arbres commençaient à frémir, les incitant à repartir, et ils sortaient du parc quand le portable de Denis sonna. C’était Pierre qui souhaitait savoir si tout allait bien.

-Oui, dit Denis, nous revenons demain. Nous devrions nous poser en début d’après-midi à Paris. Nous décollerons en fin de matinée à Barajas. Pierre lui répondit qu’il leur rendrait visite en fin de soirée.

Comme à chaque fois qu’il s’éveillait le premier, il embrassa tendrement Marie le matin suivant en attendant qu’elle ouvre ses yeux.

-Notre dernier jour, murmura-t-elle, songeuse.

-Il ne nous reste guère de temps, dit Denis. Je voulais que tu te reposes le plus longtemps possible.

Nous devons être à la gare pour six heures et demie. Nous déjeunerons dans le train.

Le train avait commencé à rouler en direction de Madrid. Ils déjeunèrent rapidement dans le wagon-restaurant et prirent place sur leurs sièges. Marie regardait Denis, et un peu plus tard, elle se décida à lui parler.

-En rentrant tu auras du travail. Il faudra aménager une chambre …

Elle venait de lui annoncer la merveilleuse nouvelle. Ils allaient avoir un enfant. Ils étaient enlacés tendrement et se regardaient intensément. La communion intime de deux êtres dans une bulle de bonheur, que rien ne semblait pouvoir atteindre, et elle se pencha vers lui pour l’embrasser, d’un baiser qu’elle aurait voulu éternel.

Denis et Marie ne purent descendre de leur wagon, et ce jour-là deux passagers qui avaient réservé leurs places sur le vol de retour vers Paris ne se présentèrent jamais à l’embarquement à l’aéroport de Madrid-Barajas.

Le train venait d’amorcer son ralentissement.

Pour entrer en gare d’Atocha.

Un 11 mars.

A Madrid.