14. MAUVAISE RENCONTRE

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Ils reprirent l’avion, le lendemain, pour rentrer chez eux. A vingt heures, ils étaient à leur domicile. Après avoir vécu ces heures intenses, ils se retrouvaient seuls, ensemble, et cela leur procura le plus grand bien.

-Je n’aurais jamais imaginé qu’une telle chose puisse se produire, dit Marie, en faisant allusion à leurs nominations. Mais il ne faudra surtout rien changer dans notre manière de faire, chez Arts-Graphiques.

-Je suis entièrement de ton avis, nous n’avons pas le droit de faire autrement, même en sachant que nous n’y serons plus dans quelques mois. Je pense que tôt ou tard, le patron nous parlera, et nous verrons à ce moment-là. Pense aussi au fait que jeudi, c’est l’entraînement. Tu sais que c’est important.

Marie avait progressé très rapidement. Denis et elle restaient souvent seuls, après la séance hebdomadaire. Marie lui avait demandé un jour si c’était possible, car elle souhaitait s’entraîner davantage. Ses efforts lui avaient permis de devenir ceinture bleue, l’avant-dernière étape avant la ceinture noire, et il l’avait inscrit pour les sélections des ceintures marron qui interviendraient sous peu.

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En reprenant le travail, le lendemain, un comité d’accueil les attendait. Beaucoup de leurs collègues les avaient vus aux actualités et s’étaient accordés pour leur préparer un petit-déjeuner. Roland prononça quelques paroles pour les féliciter. Certains d’entre eux, intrigués, auraient aimé savoir pourquoi Denis s’était vu remettre la médaille de la Défense, mais il ne voulait pas entrer dans ce genre de discussion. Il raconta de manière évasive que ce geste était avant tout destiné à rendre hommage aux travaux de feu son père.

En tant que responsable, Marie assistait maintenant aux réunions hebdomadaires. A l’issue de celle-ci, Monsieur Doroin leur présenta également ses félicitations, en rajoutant qu’une prime exceptionnelle leur serait octroyée.

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Denis avait établi un plan de séance pour les entraînements, auquel il s’astreignait depuis qu’il avait en charge la Formation des judokas. Les séances débutaient toujours avec une demi-heure d’échauffements et d’assouplissements suivis d’exercices de chutes, avant de passer aux explications techniques et démonstrations de mouvements avec l’un ou l’autre des présents. Enfin, la dernière demi-heure était un exercice de combat libre destinée à approfondir les nouvelles techniques apprises.

Un évènement inhabituel se produisit. Deux personnes que Denis n’avait jamais vues étaient

présentes pour assister aux exercices. Ils se présentèrent à la fin de la séance comme étant des juges fédéraux de la commission d’arbitrage. Ils observèrent avec intérêt l’intégralité de la séance, sans prononcer un mot.

Alors que les autres judokas retournaient au vestiaire, Denis et Marie poursuivirent leurs exercices. Il lui fit répéter l’intégralité du programme imposé par son prochain passage de grade, en insistant sur les mouvements qu’elle maîtrisait le moins, puis ils passèrent à la compétition. Denis ne lui accordait aucune faveur, mais Marie était vive et il se retrouva à plusieurs reprises en mauvaise posture. Les deux visiteur n’avaient pas bougé et continuaient à observer.

Une heure plus tard, Denis estima que l’entraînement était suffisant, et ils cessèrent de s’exercer. Les deux visiteurs applaudirent discrètement et l’un d’eux s’approcha de Denis, avec un dossier entre les mains, qu’il lui présenta. Il reconnut les documents qu’il avait envoyés à la fédération.

-Votre élève est brillante,  Senseï.  Nous avons examiné son dossier et sa candidature a été acceptée. Et nul doute avec ce que nous venons de voir qu’elle réussira son épreuve dans deux semaines.

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Carnet intime de Marie, jeudi soir:

Parfois, j’ai peur. Nous vivons un tel bonheur … Mon cœur veut que cela ne cesse jamais.

Je voudrais connaitre l’avenir. Nous avons reparlé d’avoir un enfant. L’année prochaine ?

Etre encore plus heureux, fonder une famille. S’il devait lui arriver quelque chose, je deviendrais folle.

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Emi venait d’emménager dans son nouvel appartement. Comme elle gardait des enfants à domicile, son studio s’était vite avéré trop petit. Avec son compagnon, ils avaient opté pour un logement plus fonctionnel, et leur choix s’était porté sur une location dans un petit immeuble.

Elle s’était retrouvée en présence de Denis et Marie, un samedi matin, alors qu’elle faisait ses achats. Elle avait évoqué son problème et il lui communiqua l’adresse du père de Patrick, qu’il appela le jour même. Elle paraissait soucieuse et leur expliqua le détachement grandissant qu’elle ressentait pour son compagnon.

-Pour moi, c’est une belle histoire. J’ai presque envie de dire c’était, parce que je ne sais pas si nous continuerons longtemps ensemble, leur dit-elle en terminant les cafés qu’ils avaient commandés. Nous nous entendons bien, il est épris, mais mes sentiments ne sont pas aussi forts que les siens. Nous nous sommes donnés encore six mois avant de prendre une décision. Il a bien compris la situation.

-Je te souhaite de trouver un bonheur égal au nôtre, lui répondit Marie. Tu le mérites.

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La journée que Marie attendait avec impatience était enfin arrivée. Elle déjeuna de fruits frais et se

doucha longuement avant de se rendre au dojo. Lorsqu’elle pratiquait le judo, elle ne portait que son alliance, seul bijou autorisé. Denis lui avait recommandé de procéder ainsi, et de laisser ces jours-là sa bague à leur domicile afin de ne pas susciter de convoitises. Il était parti plus tôt pour veiller à la bonne installation de la salle et avait exigé d’elle qu’elle se repose.

Parmi les différents arbitres présents, Denis avait remarqué un japonais. L’un des responsables de la fédération l’avaient présenté comme étant Maître Yoshi, titulaire du cinquième dan, de passage en France, qui s’exprimait en anglais. Celui qui avait été désigné pour arbitrer les combats de Marie. Elle s’échauffa longuement avant de passer ses épreuves.

Didier et Nicole avaient fait leur apparition. Ils n’étaient là que pour encourager Marie. Les autres spectateurs étaient essentiellement des judokas de niveau moins élevé à qui il avait été permis d’assister aux épreuves. Denis reconnut Sarah, l’apprentie de Marie, qui venait de s’inscrire au club pour commencer à apprendre cette discipline. Elle s’y appliquait autant qu’à son travail chez Arts-Graphiques. Judith et son mari étaient également venus assister à l’examen, ce qui avait réjoui Marie lorsque sa sœur l’en avait informé la semaine précédente.

A l’issue de la séance, Marie avait gagné la majorité de ses combats et figurait en tête de liste pour les candidats retenus. Maître Yoshi remit aux nouveaux promus leurs ceintures. Après les avoir tous félicités, il s’adressa à Marie pour savoir si elle acceptait un dernier combat avec lui, avant de clôturer cette manifestation. Elle lui répondit par l’affirmative. Elle resta sur ses pieds, malgré les efforts de son adversaire pour la déséquilibrer, et feinta un mouvement d’attaque pour enchainer avec une projection qui le fit chuter. Le combat était terminé. Il se releva, puis ils se saluèrent, conformément à la tradition. Elle a de qui tenir, pensa Sarah.

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Ils demandèrent à Judith et son mari s’ils souhaitaient rester avec eux pour le repas de midi. Marie avait préparé la veille ce qu’il fallait, un repas simple, mais revigorant au regard des efforts qu’ils avaient eu à fournir au courant de la matinée.

Ils évoquèrent leurs déménagements. Pierre avait dit au mari de Judith qu’un deuxième appartement serait libre dans la résidence parisienne avant Noël.

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Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis que Robert et Azucena avaient déménagé. Ils n’avaient pu assurer le paiement du loyer, ainsi que Denis l’avaient prévu, et ils furent expulsés. Ils habitaient à présent dans une mansarde, équipée du confort minimum.

-J’en ai assez de cet appartement miteux, lui dit-elle, je ne le supporte plus ! Il venait de rentrer du travail, mais la promotion qu’il espérait n’arrivait pas malgré toute l’ardeur dont il faisait preuve. Il ne se rendait pas compte de l’emprise qu’elle exerçait sur ses sens, et il ne rechignait plus à lui laisser la moitié de son salaire.

Cela ne les empêchait pas de continuer à mener une vie dissolue, faites de rencontres aléatoires,

mais qui les satisfaisaient de moins en moins. Ils connaissaient de nombreuses personnes se prétendant leurs amis, essentiellement des hommes, qui ne venaient en réalité que pour elle, parfois lorsqu’il travaillait.

-J’aimerais aussi prendre des vacances, et aller un peu plus loin que la Bretagne, où nous étions l’autre fois, reprit-elle. Tu n’aimerais pas aller en Espagne ? Il rétorqua qu’il avait déjà pris ses congés de l’année, et lui proposa de partir avec elle en Andalousie au début de l’année suivante. Elle feignit de refuser, mais donna ensuite son accord, voulant lui faire croire que c’était lui qui l’avait décidé. Ce séjour était exactement ce qu’elle souhaitait. Elle lui annonça de but en blanc qu’elle devait partir le lendemain pour deux jours en stage. Elle avait usé à plusieurs reprises de ce prétexte, pour retrouver des amants.

En revenant, trois jours plus tard, ses traits étaient tirés, avec des cernes sous les yeux, et elle dut inventer une histoire de décalage d’horaire de train pour qu’il ne se doute de rien. Il n’était pas dupe et jouait le jeu, mais il la trouvait particulièrement belle et désirable dans de telles circonstances, et s’empressait de s’occuper d’elle. Cela leur procurait à tous deux un plaisir intense et inavouable.    Dominatrice et soumis, à l’instar de ces jeux auxquels ils se livraient parfois.

Elle ne voulait toujours pas revoir sa sœur. Elle ne pardonnait pas à Emi de l’avoir traitée de putain après avoir été rejetée par Denis. La seule chose qu’elle méritait, selon elle. Mais ce qui l’avait le plus fâchée fut qu’Emi ait acceptée de servir de témoin à Denis pour son mariage, comme elle le découvrit en visionnant la cassette. Elle considérait ce geste comme une trahison de la part d’Emi. Et elle ignorait tout de leur aventure d’une nuit.

Deux jours plus tard, Robert revint avec des réservations. Il était allé dans une agence de voyages réserver une semaine de vacances en Andalousie, dans un hôtel en demi-pension. Ce séjour, avec le voyage, représentait une somme importante pour lui et il dut se résoudre à souscrire un crédit pour effectuer le paiement. Mais il tenait à démontrer à sa compagne qu’il prenait ses souhaits au sérieux, et avait réservé deux places en première classe sur un vol vers Séville.

Elle simula la gentillesse, durant deux jours, mais elle le supportait de moins en moins. Quelle larve, pensait-elle. En rentrant, le lendemain, il lui annonça qu’il avait eu un entretien avec son patron. Il lui avait demandé à travailler en équipe.

-Ce n’est pas négligeable, je gagnerai trente pour cent de plus.

-Tu as bien fait d’accepter, mais cela va me déranger. Je ne voudrais pas me réveiller au milieu de la nuit quand tu partiras travailler. Tu installeras ton lit dans la petite chambre vide, c’est mieux. A partir de cet instant, ils firent chambre séparée.

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La période estivale se terminait et l’activité avait repris chez Arts-Graphiques. La nouvelle saison démarrait également pour les activités sportives et Denis avait programmé une réunion de rentrée avec les judokas du club. Le programme de la nouvelle saison était expliqué dans la missive qu’il avait envoyée aux participants. Il précisait que la fin du premier entraînement était repoussée d’une heure parce qu’il avait prévu que la première heure tiendrait lieu d’assemblée générale. Tous les membres du club étaient présents le jeudi suivant. Il leur présenta le bilan de la saison écoulée,  félicita les

nouveaux  promus et expliqua plus en détail ce qui était prévu pour les onze mois qui suivaient. Il insista particulièrement sur l’importance de participer régulièrement.

Marie et Denis étaient les derniers à quitter le dojo et ils se dirigèrent vers le parking. Celui-ci n’était pas encore éclairé, mais il faisait déjà sombre. Ils aperçurent deux hommes se dirigeant vers eux et Denis fut saisi d’un mauvais pressentiment. Les deux individus marchaient droit sur eux d’un pas décidé, et arrivés une dizaine de mètres devant eux, ils ralentirent leur allure. Le plus grand s’adressa effrontément à Denis, qu’il croyait impressionner.

-Je vais te dire ce qui va arriver. On va d’abord s’occuper de toi, et ensuite, on va s’occuper de ta poule, elle va passer un bon moment. En disant cela, il avait sorti un coup de poing américain qu’il enfila autour de ses doigts.

-Reste derrière moi, Marie, et appelle le numéro spécial, lui dit Denis, qui avait déjà jaugé les agresseurs. Le plus grand s’était rapproché et leva la main droite avec un geste menaçant. Il n’eut pas le temps de le terminer. Denis se jeta sur lui et lui appliqua une clef pour immobiliser le bras, tout en lui coupant le souffle d’un coup de coude à la poitrine. Il enchaîna avec une projection qui fit basculer son agresseur par-dessus lui et l’accompagna dans sa chute tout en lui portant un coup au nez du tranchant de la main. Il gisait au sol, le nez en sang.

-Immobilise-le, cria-t-il à Marie en se relevant prestement pour faire face au deuxième individu. Elle lui appliqua un étranglement dans les règles de l’art. Juste ce qu’il fallait pour qu’il reste à la limite de la conscience, comme elle avait appris. Denis faisait maintenant face à l’autre, qui avait sorti un couteau et s’avançait vers lui.

Il se rendit compte que son adversaire avait légèrement hésité.

-Alors petit, tu veux jouer au commando ? Sans lui laisser le temps de répondre, Denis se jeta sur lui les jambes en avant. Il coinça l’avant des pieds de son adversaire avec la jambe droite, tout en portant un coup violent de la jambe gauche a l’arrière des genoux, ce qui fit tomber à genoux son adversaire qui poussa un cri de douleur en lâchant le couteau. Il l’immobilisa au sol en lui appliquant une clé qui lui cassa le bras avant de l’assommer par un coup au visage.

Un passant qui avait assisté à la scène avait appelé les secours, mais une voiture avec une immatriculation militaire venait d’arriver. Deux personnes en descendirent, que Denis reconnut avec stupeur.

-Vous ? Il venait de reconnaître leur chauffeur de Paris et la femme qui lui avait porté un plateau petit-déjeuner dans le train, alors qu’il se rendait à Paris pour rencontrer Pierre.

-Oui, nous ! Et nous ne sommes jamais loin. Nous devons veiller sur vous, dit-elle, amusée. Nous les avions repérés, mais nous savions aussi qu’ils n’étaient pas très malins. Vous ne nous avez pas vus, mais nous avons assisté à toute l’altercation, et nous les tenions en joue. Ils n’auraient rien pu faire.

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Un véhicule de police arriva quelques instants plus tard. Trois personnes en descendirent et observèrent d’abord ce qui se passait. Le responsable avait remarqué l’autre voiture et dévisagea  les

quatre personnes devant lui.

-Je vois, dit-il. Mais un témoin qui a assisté à la scène nous a prévenus, et je suis obligé d’établir un rapport. Je vous demanderais de nous suivre. Quant à ces deux-là, ils viennent avec nous. Ils menottèrent les deux agresseurs qui étaient en piteux état.

L’appel au numéro d’urgence avait déclenché tout un processus. Pierre fut averti immédiatement et jugea l’affaire suffisamment sérieuse pour qu’il s’en occupe. Il appela les deux personnes chargées de la surveillance, qui lui relatèrent brièvement ce qui venait de se produire, alors que Denis venait de se débarrasser du deuxième agresseur. Il appela ensuite Denis, qui roulait en direction du commissariat.

-Alors, mon grand, tu viens de rencontrer le commandant Ruth et le capitaine David ? Je viens de leur parler. Ils ont été stupéfaits par ta réaction. Je m’occupe de tout. Quand on te demandera qui tu es et ce qui s’est passé, donne simplement ton nom et le numéro que je vais t’indiquer, en précisant que c’est un fax. Et dis à Marie de faire pareil.

Denis s’en tint strictement aux consignes de Pierre, et ne déclina rien d’autre que son identité, en communiquant le numéro de fax. Marie fit de même. Le commissaire était intrigué par ce comportement inhabituel, et se résolut à faxer un message demandant de plus amples précisions sur ces deux personnes. La réponse ne se fit pas attendre. Quelques minutes s’écoulèrent et le fax commença à crépiter. La feuille qui sortit de l’appareil était imprimée avec l’en-tête du Ministère, et le message n’était constitué en tout et pour tout que d’un numéro de téléphone, suivi de la signature et de la qualité de Pierre.

-Bonsoir mon Général.

-Bonsoir Commissaire. Les deux personnes agressées sont sous la protection de nos services, et je vous prie de mettre à la disposition de nos collaborateurs tous les éléments dont vous disposez. Ils prendront les deux agresseurs en charge, et nous procéderons à un autre interrogatoire dans nos locaux. Sachez également qu’il y va de l’intérêt national, il est inutile que cette affaire soit ébruitée.

D’autre part, il sera inutile de me rappeler plus tard à ce numéro, car il sera désactivé demain. Pour le témoin qui vous a appelé, dites-lui qu’il s’agissait de personnes recherchées qui préparaient un mauvais coup, et que les civils dans la voiture militaire étaient un permissionnaire et son amie qui se trouvaient là par hasard.

La fouille des deux individus avait permis de trouver une photo de Denis. Lorsque Ruth lui demanda dans quelles circonstances elle avait été prise, il reconnut de suite la photo réalisée à la pizzéria, lorsque la jeune mariée avait trébuché devant lui. Il lui décrivit cet incident en détail, et Ruth lui demanda s’il se souvenait de la date.

-Non, mais c’est possible de la déterminer, j’avais réglé par carte de paiement. Je me souviens qu’elle m’avait dit de faire attention à nous, en l’aidant à se relever.

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Dans un premier temps, les deux agresseurs furent transférés dans un hôpital où ils restèrent sous bonne garde, le temps de leur prodiguer les soins nécessaires. Après une semaine de ce régime, ils

furent transférés à Paris pour un interrogatoire plus poussé.  Pierre voulait tout savoir d’eux, et pourquoi ils s’en étaient pris à Denis et Marie.

Les personnes chargées de les interroger apprirent qu’ils avaient été contactés par un individu de type maghrébin dans un restaurant, et que de l’argent leur avait été remis pour qu’ils s’occupent de Denis. C’est à cette occasion qu’il leur avait donné la photo, ainsi que quelques informations sur l’endroit où le trouver. Leur interlocuteur leur avait promis un complément financier pour ce qu’il appela pudiquement une neutralisation définitive. Quant à Marie, avait-il dit, ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient.

Ils avaient été interrogés séparément, et leurs versions concordaient. Cela permit d’établir un portrait-robot du commanditaire, et Denis reconnut l’un des invités de la pizzéria. Marie, qui l’avait vu également, corrigea le portrait en y ajoutant quelques détails. La suite de l’enquête permit d’apprendre que cet homme avait dit venir d’Espagne, et qu’il était en situation irrégulière. Ils ne le connaissaient que par son prénom. Il avait dit s’appeler Samy, et c’est lui qui prenait contact avec eux.

Pierre contacta ses homologues espagnols, à qui il envoya une copie des informations dont il disposait. Samy avait été repéré en Espagne à son arrivée à Cadix, alors qu’il venait de Tanger. Il avait été vu à Madrid, puis à Barcelonne où sa piste avait été perdue, cela remontait à quelques mois. Ses déplacements indiquaient qu’il remontait vers le nord, en direction de la France.

Pierre avait peu d’espoir, mais un fax lui parvint d’Espagne une semaine plus tard. Une enquête diligentée par ses homologues étrangers avait permis d’apprendre que Samy appartenait à une mouvance radicale connue pour ses actions sanglantes et le portrait-robot établi par les services espagnols était à l’identique de celui établi en France. Quant aux agresseurs, eux-mêmes en situation irrégulière, ils furent expulsés de France un peu plus tard, ils n’avaient plus aucune utilité.

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Emi se rendait de temps à autre chez ses parents, parfois en compagnie de tel ou tel enfant dont elle assurait la garde. A l’occasion de l’une de ses visites, elle parla avec Ramon de sa situation de couple. Elle lui raconta que son compagnon devenait de plus en plus distant et qu’il n’y avait plus guère que lors des représentations de théâtre ou des répétitions qu’elle le retrouvait comme elle l’avait connu au début de leur relation.

Son père lui conseilla de prendre du recul. Il avait parfaitement compris la crise que sa fille traversait, et le besoin qu’elle avait de se confier.

-Lui et toi vous devriez séparer pour quelques temps. Cela vous permettrait de savoir à quel point l’un est nécessaire à l’autre. Et même si ce n’est pas le bon, tu trouveras un jour celui qu’il te faut. Tu l’as peut-être déjà rencontré sans savoir que c’est lui.

-Et s’il en est ainsi, mais qu’il soit marié, je devrais faire quoi ?

-Toi, ma fille, tu es amoureuse de quelqu’un. Je ne veux pas savoir qui c’est, réfléchis et prends la bonne décision. Mais la vie t’apprendra que les sentiments les plus forts triomphent toujours, la franchise permet d’aider en cela.

Si seulement il pouvait dire vrai, songea Emi en repartant de chez Ramon. Mais elle ressentait au fond d’elle quelque chose qui lui disait que le chemin serait long, très long. Cette visite lui avait permis de retrouver confiance en elle, et en arrivant à son domicile, son compagnon l’attendait. Ils eurent plus tard une longue discussion.

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