9. ESCAPADE PARISIENNE
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Quelques jours plus tard, Marie et Denis discutaient d’un stratagème qu’ils voulaient mettre en place, leur permettant de se retrouver après le travail, sans que personne ne se doute de rien. Il lui dit qu’il suffisait de passer ensemble une semaine chez l’un et une semaine chez l’autre.
-Nous pourrons arriver ensemble avec ma voiture, cela n’étonnera personne, tu habites sur le trajet que je prends habituellement. Comme j’emmène parfois Didier, cela n’étonnera personne.
-C’est une solution qui me convient, d’autant que ma vieille auto n’est plus très vaillante.
-Tu n’en auras plus besoin après notre mariage, mon amour.
Personne ne se douta de rien, et ils cachaient à merveille leurs sentiments réciproques. Un soir, en quittant le travail, il lui suggéra de poser une journée de congé pour le milieu du mois de juin. Il souhaitait passer cette journée avec elle dans la capitale, et profiter du déplacement pour aller choisir leurs alliances.
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Durant l’une des semaines qu’il passait chez Marie, il souhaita qu’elle lui montre quelques peintures. Il la regardait souvent peindre, mais il n’avait jamais vu la totalité de ce que contenaient les cartons à dessin.
-Je n’ai pas beaucoup de tableaux, mais beaucoup de dessins. Je vais te montrer le premier que j’ai réalisé, après notre rencontre. Elle ouvrit un carton posé contre le mur de l’atelier pour en retirer une feuille de grand format. Elle avait imaginé une collection de bijoux.
Elle avait travaillé de nombreuses heures pour réaliser ce superbe travail. Son dessin représentait une collection complète comprenant bague de fiançailles, alliances, collier, boucles d’oreilles, chevalière et gourmette. Toute son âme transparaissait dans son œuvre, pensa Denis. Elle avait même songé aux détails, qu’elle avait redessiné en plus grand, en les disposant sur les bords de la feuille. Il était émerveillé.
-Ta création est magnifique, ma chérie, elle mériterait d’être commercialisée.
-Crois-tu que l’on puisse commercialiser les sentiments ? C’est mon cœur qui a guidé ma main. Elle était dubitative. Mais il réussit à la convaincre de présenter sa collection à un homme du métier, en disant que leur prochain déplacement constituerait le moment adéquat. Et que cette rencontre déciderait de leur avenir.
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Ils étaient assis l’un à côté de l’autre, à l’avant de l’appareil. Il lui avait laissé la place près du hublot, pour qu’elle puisse profiter du paysage. En embarquant, elle avait dit en riant qu’elle prenait l’avion pour la première fois. La météo était clémente, et ce vol en rappelait d’autres à Denis. Tous ceux de son enfance quand ils partaient en famille pour aller dans les iles. Mais aussi d’autres, plus tard, beaucoup moins confortables. Ceux de sa période militaire. L’avion se posa et ils débarquèrent, pour visiter ensuite les boutiques de l’aéroport, avant de prendre un taxi pour se rendre chez le joaillier où Denis avait acheté la bague de Marie. Il lui avait téléphoné deux jours plus tôt pour obtenir un rendez-vous, avant de réserver les
deux places d’avion. En entrant chez le joaillier, le vendeur le reconnut de suite.
-Bonjour Monsieur Denis, bonjour Madame. Je suis très heureux de vous revoir. Il avait remarqué la bague que portait Marie, et lui demanda si elle lui convenait.
-Vous avez réalisé un travail remarquable.
-Vous la portez à merveille, Madame, et autorisez moi à vous féliciter pour votre décision à tous les deux. Comment puis-je vous aider ? Denis lui expliqua les raisons de leur présence.
-Nous sommes venus pour les alliances. Nous allons nous marier dans quelques mois. Le vendeur les pria de prendre place, puis se dirigea vers une vitrine, d’où il revint en portant un coffret, qu’il posa devant eux.
-Notre plus belle collection, précisa-t-il. Nous avons ici quelques modèles qui assortiraient parfaitement la bague que Madame porte déjà. Marie hésita entre deux modèles qui lui plaisaient, et demanda à Denis lequel il préférait. Il les examina l’un après l’autre et fit son choix.
-Ce modèle me plait le plus. Il avait reconnu dans l’alliance la griffe d’un maître-artisan. Le vendeur hocha la tête d’un air entendu. Il leur demanda de les suivre dans le bureau pour finaliser la vente. Cela fut réglé rapidement. Avant de partir, Denis dit au vendeur qu’il voulait lui présenter quelque chose. Il ouvrit le tube qu’il avait conservé à portée de main depuis qu’il était entré dans le magasin, en retira un rouleau de papier qu’il déplia précautionneusement et le posa devant le vendeur.
En voyant ce que Marie avait réalisé, il resta muet de stupéfaction. Après plusieurs dizaines de secondes, il appela son directeur.
-Pouvez-vous descendre, Monsieur Gérard, il faut absolument que vous veniez voir ce qui est devant moi. Il entra dans le bureau quelques instants plus tard, salua Denis et Marie avant de voir le dessin. Il l’examina longuement, avant de dire:
-C’est cela, c’est tout à fait cela ! Qui sont ces personnes? demanda-t-il à son employé.
-Monsieur est un nouveau client, il nous a commandé une bague de fiançailles pour Madame, il y a quelques semaines, et ils sont venus aujourd’hui pour choisir leurs alliances. Monsieur m’a ensuite montré ce dessin. Denis se présenta, ainsi que Marie. En s’adressant à elle, il la félicita pour leur futur mariage, et la complimenta pour le collier de perles noires, qui n’avait pas échappé à son regard.
-C’est absolument remarquable, reprit le joaillier, c’est tout à fait ce que nous recherchions pour notre nouvelle collection, et je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. Probablement l’œuvre de Madame ? Mais je ne me souviens pas de vous avoir rencontré lors de nos expositions. Vous êtes une nouvelle créatrice ?
-Absolument pas. J’ai dessiné cela, mais je ne le trouvais pas particulièrement réussi.
-La porte vous est grande ouverte, Madame, si vous souhaitez rejoindre notre atelier de création. Je suis prêt à vous offrir d’excellentes conditions pour cela. Vous apportez un style nouveau. Je suis persuadé que vous auriez beaucoup de succès.
Ils n’étaient plus que tous les trois dans le bureau, le vendeur était sorti pour s’occuper d’autres clients. Marie lui expliqua qu’elle travaillait déjà, et qu’ils habitaient en province.
-Cela aussi pourrait s’arranger. Puis-je vous demander quel type d’emploi vous occupez ?
Denis lui répondit qu’ils travaillaient ensemble, dans le département photogravure d’une imprimerie, spécialisée dans le domaine de l’impression de prestige.
-Vous êtes probablement chez arts graphiques. J’ai découvert récemment la nouvelle revue consacrée aux arts, que vous réalisez, c’est du très beau travail. Et je comprends que vous ne vouliez pas quitter cette Entreprise. Il proposa à Marie de lui acheter son dessin. Elle refusa tout net.
-Les sentiments ne se vendent pas Monsieur, mais si ce dessin vous plaît autant, je vous l’offre.
-Dans ce cas, je veux également faire un geste en contrepartie. Je vous offre à tous les deux vos alliances, et vous serez mes invités pour la journée.
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Monsieur Gérard les invita pour le repas de midi dans un restaurant bien fréquenté. Ils reconnurent des visages qu’ils avaient vus aux actualités, et il salua certains d’entre eux. En les quittant, il leur dit que son chauffeur était à leur disposition, ainsi que la voiture.
Il leur avait recommandé de profiter de l’après-midi pour visiter la capitale, avant de retourner à l’aéroport. Leur tour des monuments s’achevait lorsque le chauffeur reçut un appel. Il expliqua qu’il devait les déposer un peu plus tôt que prévu à l’aéroport, parce que quelqu’un voulait les rencontrer.
Pierre les attendait dans le hall, et leur demanda de les suivre dans un salon particulier.
-Je pense que le moment est venu de tout dire à Marie. Ils étaient seuls tous les trois, et Marie voulut savoir de quoi il s’agissait.
-Il faut que tu saches que nous ne serions pas ici si ce qui vous unit tous les deux n’était pas aussi fort. Et ce que je vais te dire doit rester entre nous. Je sais que je peux te faire confiance. Denis travaille chez arts graphiques, mais ce n’est pas tout. Il travaille également pour nous, je veux dire le corps des personnels civils, mais de manière informelle. J’ai réussi à l’intéresser à l’informatique, il y a quelques années, pensant que cela serait un excellent dérivatif.
Sans qu’il ne s’en rende compte, je lui ai confié la conception de quelques programmes adaptés à nos besoins, que nous utilisions déjà, et nous nous sommes aperçus que ce qu’il faisait répondait à un concept nouveau, en termes de programmation. Ses programmes tournaient de manière beaucoup plus efficace. Et il était impensable de laisser échapper de telles capacités.
Plus récemment, je lui ai confié la réalisation d’un nouveau type de programme. Très différent, puisque débouchant sur une utilisation plus pointue. Et nous nous sommes également renseigné sur ses fréquentations, avant d’assurer discrètement sa sécurité, et maintenant la vôtre à tous les deux. Nous y sommes tenus en raison des intérêts en jeu.
Afin de renforcer votre sécurité, il convient maintenant de vous équiper d’un système particulier. Pierre posa devant chacun un téléphone portable, en leur demandant ce qu’ils voyaient.
-A priori, dit Denis, ce sont des téléphones ordinaires, mais je me doute bien qu’il s’agit d’autre chose.
-En effet. Ils n’en ont que l’apparence. Ils sont beaucoup plus complexes. Ils sont équipés d’une fonction de localisation, avec un système d’appel d’urgence. Les communications s’effectuent sur un réseau cellulaire spécialisé et sécurisé. Gardez-les toujours sur vous. J’insiste, toujours ! Vous comprendrez qu’il n’y a pas de mode d’emploi, je vais vous expliquer les fonctions cachées. Après quelques minutes, Denis et Marie savaient les utiliser.
-A n’utiliser qu’en cas de nécessité absolue, leur dit encore Pierre. Mais ne vous en faites pas, vous n’aurez probablement pas à utiliser ces fonctions, sinon, vous pouvez les utiliser comme un téléphone ordinaire. Avec la différence qu’il n’y a pas d’abonnement.
En rejoignant le hall, Pierre leur souhaita un bon vol. Cette semaine-là, ils vivaient chez Denis, ils arrivèrent en début de soirée. Marie était restée songeuse durant tout le trajet. Elle parla enfin.
-Garde moi toujours près de toi, mon amour. Il s’était rendu compte qu’elle était inquiète et la rassura.
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Quelques jours plus tard le facteur livra un petit paquet à Denis. Celui-ci contenait les alliances. Un petit mot les accompagnait, qui les félicitait, et formulait le vœu de les rencontrer à l’avenir, signé de la main de Monsieur Gérard.